Direction l’Italie pour cette nouvelle lecture avec Il Giallo di Via Poma (Newton Compton Editori, 2020) de Massimo Luglio et Antonio Del Greco. Un thriller inspiré de faits réels, presque documentaire, qui vous tient en haleine jusqu’à la dernière page.
Avant d’aller plus loin, il faut tout de même que je vous avoue quelque chose. Si vous ne lisez pas l’italien, vous ne pourrez pas découvrir cette docu-ficiton puisqu’a priori le livre n’a pas été traduit. Vous pourrez néanmoins faire des recherches sur le cold case qui a inspiré Il Giallo di Via Poma et demander à votre moteur de recherche de traduire les articles de presse que vous trouverez ou la page Wikipedia (je vous la donne, c’est cadeau).
Ceci étant dit, entrons dans le vif du sujet.
Le 7 août 1990, Simonetta Cesaroni, 20 ans, est retrouvée poignardée sur son lieu de travail. Trente ans plus tard, on ne sait toujours pas qui a commis ce meurtre. Voilà le cas sur lequel se base Il Giallo di Via Poma.
Simonetta Cesaroni est, certes, devenue Carla De Simone sur le papier, mais tout est là. Les 29 coups de couteau, les habits de la victime qui ont disparu, l’enquête qui n’avance pas, le suicide du portier, l’engouement de la presse. La lecture n’en est que plus passionnante ; les éléments de fiction au niveau des faits ne sont pas si nombreux, toutes les émotions sont donc décuplées. À chaque fois que les enquêteurs « fictifs » se retrouvent face à un mur, on se dit que des gens réels (les proches de la victime), donc pas des personnages, ont vu leurs espoirs de justice s’effondrer.
Ce qui est génial aussi dans Il Giallo di Via Poma, c’est que l’un des auteurs est journaliste de faits divers (Lugli), l’autre est policier (Del Greco), et on suit autant l’enquête policière (menée par Tommaso Elleni) que l’enquête journalistique (menée par Marco Scalesi). L’idée que les auteurs savent de quoi ils parlent donne encore plus de réalisme au texte. En plus, j’ai trouvé passionnant de confronter ces deux manières de faire. D’un côté ceux qui galèrent à retrouver un tueur invisible et de l’autre, ceux qui cherchent la bonne histoire, l’information qui fera vendre plus de journaux. Ça semble tellement contradictoire et, surtout, la recherche et la publication d’un scoop peut être une telle menace pour l’enquête que la tension n’en est qu’augmentée.
La temporalité alterne elle aussi. On passe de l’époque du délit au présent, trois décennies plus tard, où on cherche toujours le tueur. Le plus intéressant, c’est quand on passe du présent au passé puisqu’il va s’agir de découvrir comment l’enquête a mené à tel ou tel suspect, bien qu’on sache que ce n’est pas le bon.
Dernière chose que j’ai beaucoup apprécié au niveau de l’écriture, c’est le fait qu’il y ait énormément de dialogues. Que ce soit les réunions à la rédaction de Repubblica, celles de la squadra mobile, les interviews du journaliste ou les interrogatoires, les dialogues sont longs mais ne font pas stagner le récit (contrairement à l’enquête qui elle n’avance d’un pas que pour en reculer de deux). Et je ne parle pas ici de dialogues où un personnage parle pendant trois pages pour expliquer des choses que le narrateur aurait très bien pu décrire lui-même mais de véritables échanges (avec toutes les joies du dialecte romain). Par conséquent, on ne connaît que les informations dont disposent les policier.ère.s et les journalistes, on découvre les nouveaux éléments en même temps qu’eux et on raisonne à leur rythme. Ce n’est peut-être pas quelque chose que je relèverai dans une fiction « classique » mais dans ce cas, encore une fois, ça ajoute une touche de réalisme à l’histoire, la rendant encore plus palpitante.
(🚨 Attention petit spoiler)
Pour terminer, un mot sur le « dénouement ». Un soudain rebondissement, trente ans après le crime, offre le tueur sur un plateau d’argent. Jusque-là, on peut se dire que Lugli et Del Greco ont voulu rendre une sorte de justice à Simonetta Cesaroni (la vraie victime) à travers le livre. Mais ce qui est très malin, c’est que ce soi-disant tueur, qui s’est lui-même dénoncé auprès de Marco, le journaliste, n’est pas du tout l’auteur du meurtre.
C’était en fait un policier, un des premiers à être arrivé sur les lieux du crime ce fameux 7 août 1990. Il savait donc des choses qui n’avaient jamais été divulguées dans la presse, pratique pour se faire passer pour le tueur. Il a ensuite vu sa vie détruite après que son nom et sa photo soient apparus dans la presse, l’accusant d’avoir sexuellement agressé une jeune fille alors qu’il était innocent. La personne qui avait divulgué son identité n’était autre que Marco et ce « faux tueur » s’est vengé. En effet, avoir l’identité du tueur de Via Poma, c’était le scoop assuré pour Marco. Mais si vous publiez ce scoop et que juste après, vous apprenez que c’était un faux témoignage, vous pouvez dire adieu à votre carrière.
C’est une fin très maline car, premièrement, la fiction continue de coller à la réalité puisqu’on ne sait toujours pas qui a tué Simonetta Cesaroni et deuxièmement, ça ouvre une réflexion sur le rôle et l’impact de la presse. Même si presse et police travaillent parfois main dans la main, jusqu’où peut-on aller pour avoir une information exclusive ? À quel point un scoop en vaut-il la peine ? Telle est la question.