Pour ma deuxième lecture de 2021, j’ai (enfin) découvert la plume de Tatjana Malik avec Un lien indélébile (Éditions Mon Village, 2018). Ancrée dans de petits villages suisses entre fiction et réalité, l’enquête serpente entre habitants bienveillants, tests ADN et horreur à l’état pur.
Quand j’ai lu dans le magazine France Loisirs qu’une inspectrice de la police scientifique vaudoise avait écrit un livre, je n’ai pas hésité une seconde avant de le commander. Ça m’a tout à coup rappelé la fascination que j’avais quand j’étais petite en voyant le personnage d’Abby dans NCIS, avec toutes ces techniques pour trouver des empreintes ou analyser des encres de stylo. Donc, j’ai automatiquement pensé qu’une professionnelle offrirait un texte passionnant… et probablement plus plausible que les séries américaines sensationnelles ! Et je peux déjà vous dire que je n’ai pas été déçue.
L’histoire démarre à la découverte d’un corps en état de putréfaction avancée, impossible de faire une identification visuelle. Est-ce un accident dû à la canicule ou meurtre ? L’inspectrice Aeby, de la police scientifique vaudoise, va devoir mener une enquête intercantonale qui la mènera vers le pire dont est capable l’être humain.
La première chose que j’ai adoré dans ce livre, c’est que Tatjana Malik ne nous offre pas une image idéalisée de la police. Bien sûr, l’esprit d’équipe règne et ces personnages sont au service de la population pour attraper des méchants. Mais, lorsqu’ils arrivent sur la première scène de crime, on n’est pas du tout dans une ambiance « laissez place aux supers flics qui vont trouver des indices en deux temps trois mouvements parce que nos vies sont tellement torturées qu’on adore ça et c’est pour ça qu’on est les meilleurs ». Non, Jessica Aeby, nous racontant l’histoire à la première personne, nous accueille dans son monde en décrivant en détail ce corps en putréfaction, l’odeur pestilentielle dont les murs sont pratiquement imbibés et la transpiration qui coule sous sa combinaison de protection pas du tout adaptée à la canicule. Aucun mot n’est là pour idéaliser la scène, on est dans du concret, à la limite entre réalité du terrain et fiction.
L’inspectrice Aeby se lâche également concernant le manque de moyens. En pleine période de vacances scolaires, et donc, période où il y a moins d’effectifs, elle se retrouve à devoir faire son job, mais aussi celui des enquêteur.trice.s. Alors que les enquêteurs, même en manque d’effectifs, ne pourraient jamais faire le travail des inspecteur.trice.s de la police scientifique puisque cela nécessite une formation supplémentaire… Doit-on comprendre que c’est ce qui se passe au sein de la police cantonale vaudoise ? Je serais curieuse d’aller poser la question et recueillir des réactions face au texte de Tatjana Malik.
J’ai également apprécié le personnage principal, l’inspectrice Jessica Aeby, de par son travail qui me fascine bien sûr, mais aussi pour son personnage de femme. Une femme célibataire, qui aime son travail comme personne et qui a ses doutes. J’ai beaucoup aimé ce questionnement :
« Depuis ma trentaine, j’avais commencé à chasser mes prétendants et à bannir toute longue relation. J’avais fait le choix de vivre en solitaire et ainsi tirer librement profit de mon existence, sans contraintes, ni attaches, excepté bien sûr, celles professionnelles. J’étais libre de partir en voyage quand je voulais et avec qui je désirais. Je n’avais besoin de rendre de comptes à personne !
A contrario… personne n’étais là pour m’écouter et me consoler… Je me sentais si indécise, seule et en totale contradiction. Que m’arrivait-il ? Étais-je en train de faire une dépression ? Mes hormones me jouaient-elles des tours ou étais-je tout simplement fatiguée ? » (p.68)
Je pense que beaucoup de personnes se retrouveront dans ce personnage. D’autant plus que dans la situation actuelle, on a encore plus tendance à se poser ce genre de question. L’inspectrice Jessica Aeby assume ses doutes et, même si elle ne sait pas vraiment où elle en est sentimentalement, elle assume d’être seule et de se consacrer pleinement à son travail. « [Je] ne suis pour le moment pas prête à sacrifier ma liberté » (p.191) lance-t-elle avant que son collègue ne rétorque qu’il ne comprend pas pourquoi, elle qui est si forte, a peur de l’amour. Peut-être que ce n’est pas de l’amour qu’on a peur, mais d’entrer dans le moule que la société a fabriqué pour nous ? D’autant plus que c’est grâce à sa passion pour son travail et sa persévérance que l’enquête a été résolue et rien d’autre.
Vous l’aurez compris, même sans parler de l’enquête, qui est tout de même au cœur du livre, Un lien indélébile est une très bonne lecture. Parce que la perfection n’existe qu’en rêve, j’ai tout de même quelques petites réserves concernant l’écriture. On y retrouve quelques lourdeurs, notamment dans certaines descriptions qui m’ont paru quelque peu scolaires et dans l’usage abondant du point d’exclamation qui, à mon sens, rend parfois le ton du dialogue légèrement ridicule dans le sens où je n’imagine pas des gens parler comme cela. J’ai aussi été par moment perdue au milieu de tous ces prélèvements effectués par la police scientifique et qui sont simplement désignés par le terme « prélèvements » sans qu’on précise de quoi il s’agit exactement. Est-ce que l’auteure n’a pas considéré cela comme perturbant ou était-ce un moyen de nous faire ressentir la complexité dans laquelle travaillent les équipes de la brigade scientifique ? Dans tous les cas, ce sont des détails que je mets sur le compte du fait que c’est le premier livre de Tatjana Malik et qu’elle a toute une carrière devant elle pour perfectionner sa plume.
D’ailleurs, et je terminerai là-dessus, il y a une chose très intéressante dans la manière dont est racontée cette histoire. C’est l’inspectrice Aeby qui, à l’exception de quelques chapitres, raconte l’histoire, le polar est donc à la première personne. Au niveau de l’énonciation, que j’adore étudier au cinéma notamment, cela nous donne déjà un certain nombre d’informations sur le personnage. (🚨 Attention spoiler) Et c’est pour ça que la fin est si perturbante. Si Jessica a péri lors de la rencontre finale avec le coupable, comment peut-elle nous relater les faits ? Doit-on considérer que l’on est simplement dans sa tête, accédant ainsi à ses pensées, jusqu’à son dernier souffle ? Ou peut-être n’est-ce pas elle qui a perdu la vie mais son collègue ? Difficile à croire au vu des informations que l’on a… C’est donc un très bon exemple pour se demander qui raconte quoi, comment et quand dans les œuvres, qu’elles soient littéraires ou filmiques.